DIALOGUE BETWEEN THE SUN AND MOON Translation by Mark Spitzer |
Dialogue de la lune et du soleil by Jean Genet |
THE
MOON (with a bandaged eye) To no end! My role is to indefinitely stretch the motionless shadow of objects. It inscribes itself in the paleness of my light. And my light is round. Nothing moves... The earth turns beneath my eye... The prison colony dwells in silence... and even though my light is deaf, it listens... she is an immense old woman who hears the slightest noise... Roger, the little informess, gathers flowers... and plucks their petals... in a low voice... From here, the prison colony appears as soft as moleskin... In his tomb, Rocky spits... he weeps... he ages... my role is to confound time, and the nights... THE SUN (valiantly) Me, I name the days! Each of my rays brands them, specifies them, ennobles them. Not one day resembles the previous one. And each has its name. I give you rhythm. My first arrow ignites intelligence and -- Behold! -- extinguishes it as a result! The prison colony thinks because of me. It conceives itself without dreaming. It rushes toward itself. I am the sun and I polish my arrows. I gave the idea to Ferrand, of going back to his workshop and working at the forge of fuckery: Noon. The Warden examines the state of the accounts presented to him by the Treasurer. A cent is a cent, a day a day, precisely. (sadly) Already, night comes... THE MOON Yes. To obtain this eternally serene but relentless light, I must clean my mess kit. Always in circles... in the same way. Otherwise I'd diffuse a dim light -- and I'd pick up false clues. I must be that immense ear which hears Rocky sighing... I hear him. He spits... he turns over... his covers stir... I hear the pleats falling on his dirty feet... Rocky is leaning against the wall... he breathes through his nose... air passes through his nostril hairs... Nobody tries to escape... The chaplain is astonished by the meaning of the word "chaplainess"... he wants to cry... He says: "The chaplain isn't the husband of the chaplainess, the chaplainess isn't..." My arm is weary from cleaning my mess kit in circles, and the fatigue of a night... THE SUN Bells, chimes! The flowers turn toward me. Their glances follow me. I clean time. I make myself scintillate. The most beautiful day of our life... is today! About eight in the crimson morning, apoplectic, a prisoner falls. I lack juice. Through a single action, even idleness is active when I dart my rays. (he looks at his wrist-watch) At half past noon the Warden fans himself. Is he digesting? At seven in the evening, the sun falls... in a haze... THE MOON To the vertical ease of cypresses, I propose the confusion of lianas. We flow, we crawl. Minutes and hours overlap. Time is elastic. It stretches, it lengthens, it shrinks. It's a mish-mash. We smoke. We get hard. We drowse. Electric currents circulate in the filaments enclosing the walls. Rocky has just shat. He squats in his corner. He removes his hand from his covers... he extends his arm... he touches the wall... he caresses the typical portrait of the killer: average forehead average nose average mouth A mass of shadows has just added itself to the total mass of nights. This passing night is, at the same time, all the darkness of the times... THE SUN The days pass and don't resemble each other. History is written day by day, it is deducted in days (with a shout) All Glorious! Ferrand forges a ring. At ten o'clock he will go clean the knife, his tool, for tomorrow morning we work. At three o'clock -- three o'clock! Light is triumphant. The entire prison colony knows it's moved away from the shores where women had power. Here, nothing can recall them. There are never any baptisms or weddings by the chaplain. The day is a male, entirely, in his solitary, sterile erectness... THE MOON I am all absent femininity, left behind on ancient shores, says the night. The convicts slink in my black, hollow, full, pale belly. Each night is knocked up. The convicts forget their age and their agony accelerates. Rocky coughs... he spits, but not as far as the night before... he caresses the image of Forlano, a little more faded... Night opens its immense ass, where the forgotten day will bury itself... THE SUN The day. THE MOON The night, devouress... THE SUN A day passes... THE MOON Night dwells. THE SUN Days pass. THE MOON Night dwells. |
LA
LUNE (un bandeau sur l'œil) A n'en plus finir! Mon rôle est d'allonger indéfiniment l'ombre immobile des objets. Elle s'inscrit dans la pâleur de ma lumière. Et ma lumière est ronde. Rien ne bouge... Sous mon œil la terre tourne... Le bagne vit en silence... Bien que sourde, ma lumière écoute... Elle est une immense vieille qui enregistre le bruit le plus sourd... Roger, la petite donneuse cueille... recueille... effeuille... à voix basse... Vu d'ici, le bagne a la douceur d'une taupe... Dans sa tombe Rocky crache... il pleure... il vieillit... Mon rôle est de confondre le temps, de confondre les nuits... LE SOLEIL (vaillamment) Moi les jours de les nommer! Chacun de mes rayons les marque, les précise, les anoblit. Aucun jour ne ressemble au précédent. Et chacun a son nom. Je vous rythme. Ma première flèche allume l'intelligence et - prodige! - l'éteint du coup! A partir de moi le bagne pense. Il se pense sans rêver. Il s'active vers le bagne. Je suis le soleil et j'astique mes flèches. Ferrand je lui ai donné l'idée de rejoindre son atelier et de travailler à la forge qui de tringle: midi. Le Directeur examine l'état de compte que lui présente l'Econome. Un sou est un sou, un jour est un jour, aussi précisément. (triste) Et c'est déjà la nuit qui vient... LA LUNE Oui. Pour obtenir cette lumière toujours sereine - mais implacable, je dois nettoyer ma gamelle. Toujours en rond... dans le même sens. Sinon je diffuserais une lumière trouble et j'enregistrerais de faux indices. Je dois être cette immense oreille qui entend les soupirs de Rocky... Je l'entends. Il crache... il se retourne... ses couvertures bougent... J'entends le pli qui tombe sur ses pieds sales... Rocky est appuyé contre le mur... il respire par le nez... l'air passe à travers les poils des narines... Personne ne cherche à s'évader... L'aumonier s'étonne du sens du mot aumonière...Il a envie de pleurer... Il dit: <<L'aumonier n'est pas le mari de l'aumonière, l'aumonière n'est pas... Mon bras est las de nettoyer en rond ma gamelle, et la fatigue d'une nuit...>> LE SOLEIL Sonnailles, carillons! Les fleurs se tournent vers moi. Elles me suivent du regard. Je nettoie le temps. Je m'oblige à scintiller. Le plus beau. Le plus beau jour de notre vie c'est aujourd'hui. Vers huit du matin cramoisi, apoplectique, un bagnard tombe. Je manque le jus comme je veux. Par un acte. Même la paresse est active. Ils le savent bien. Les Nègres du corps de garde, que la paresse est active quand je darde. (il regarde son bracelet montre) A midi et demi le Directeur s'évente. Il digère? A sept heures du soir, le soleil tombe, ... en poudre ... LA LUNE A la verticale aisance des cyprès j'oppose la confusion des lianes. On coule, on rampe. Les minutes, les heures se chevauchent. Le temps est élastique. Il s'étire, il s'allonge, il rétrécit. Mic-Mac. On fume. On bande. On somnole. Le courant électrique circule dans les fils qui ferment l'enceinte. Rocky vient de chier. Il s'accroupit dans son coin. Il sort sa main de sa couverture... il étend son bras... il touche le mur... il caresse le portrait parlé de l'assassin: front moyen nez moyen bouche moyenne Une masse d'ombre vient de s'ajouter à la masse totale des nuits. Cette nuit qui passe est à la fois toutes les ténèbres des temps... LE SOLEIL Les jours passent et ne se ressemblent pas. L'histoire s'écrit par journée, elle se décompte en jours. (dans un cri) tous glorieux! Ferrand forge une bague. A dix heures il ira nettoyer le couteau, son outil, car demain matin on travaille. A trois heures - trois heures! La lumière est triomphale. Le bagne tout entier sait qu'il s'est éloigné des rivages où la femme était puissante. Ici rien qui doivent la rappeler. Jamais de baptêmes ni de mariages par l'aumonier. Le jour est un mâle tout entier dans sa solitaire et stérile érection... LA LUNE Je suis toute la féminité absente, laissée sur les anciens rivages, dit la nuit. Les forçats se coulent dans mon ventre noir, creux, plein, blême. Chaque nuit est engrossée. Les forçats oublient leur âge et leur agoni s'accélère. Rocky tousse... il crache, mais moins loin que la nuit précédente... il caresse le portrait de Forlano, un peu plus effacé... LA LUNE La nuit ouvre son cul immense où vient s'enfouir le jour oublié... LE SOLEIL Le jour. LA LUNE La nuit, dévoreuse... LE SOLEIL Un jour passe... LA LUNE La nuit demeure. LE SOLEIL Les jours passent. LA LUNE La nuit demeure. Source of Text Along with the six known poems of Genet, the posthumous piece "Dialogue de la lune et du soleil" is included here for two reasons. First of all, it is definitely "poetic" and secondly, it illustrates a stylistic progression wherein the poetic voice of Jean Genet arrives at its most mature state (i.e., the poet controls language rather than the other way around). This piece was given to me by Edmund White, prior to its publication in the "narrative filmscript" Le Bagne, which was written in 1952 but published by L'Arbalète, Décines, 1994. |